le Mont Doville: le Mont chargé de Mystères
Petite balade de 70km environ à travers les marais du Cotentin. J'ai écrit un petit texte qui a été publié dans la revue du Randonneur en 2015 (n°58) Je l'ai accompagné d'un plan sommaire qui vous permettra de passer une très bonne journée au coeur du parc naturel des marais du Cotentin

 
 
 
Certains ont le mythique Mont Ventoux, d’autres sont très fiers de posséder le Mont Aigoual, d’autres encore,  vantent la beauté majestueuse  de leur Ballon d’Alsace , nous dans le Cotentin, on a la particularité d’être discret, modeste et un peu secret. Donc, rares sont ceux qui dans le monde, connaissent le mont Doville. Et pourtant, Il a du Ventoux son  aspect du grand chauve de Provence, de l’Aigoual ce côté austère et du ballon d’Alsace  cette douceur apparente. Il ne culmine certes qu’à … 135m , mais il a tout d’un grand pour celui qui sait  l’apprécier !
Moi, j’ai la chance d’habiter Carentan. C’est le point de départ idéal pour atteindre le fameux Mont Doville. Mais pour tous ceux qui n’ont pas ce privilège , les Carentanais n’étant pas égoïstes,  ils ont doté leur ville d’une gare SNCF. Que l’on parte  de Bordeaux, Toulouse,  Paris, Strasbourg, Marseille, Lyon  ou Lille , on arrive forcément à Carentan . Dés que l’on pose le pied et la roue avant de son vélo, on sent tout à coup un air pur et vivifiant vous traverser le corps. La   voie verte   vous attend  comme un chauffeur  de taxi qui vous ouvre les portières de sa voiture.   100 m plus loin, arrêtez – vous (déjà !) chez  Louis Saint , un célibataire amoureux de la petite reine connu et reconnu à plusieurs kilomètres à la ronde pour son amabilité , sa connaissance du vélo et son esprit ingénieux pour trouver une solution à tous vos problèmes  mécaniques.
La voie verte va vous emmener  sans effort car sans pente et protégé du vent jusqu’à Baupte en suivant les marais de Carentan et d’Auvers. Si vous venez l’hiver vous aurez quelque chance de les voir « blancs » c’est-à-dire inondés, c’est un vrai spectacle qui à lui seul vaut le déplacement surtout si vous passez par le marais du rivage en prenant à droite au bout de 4 ou 5 km. 
"Ces marais sont magnifiques, d'étendue et de tristesse, et d'une tristesse à eux, d'une autre tristesse que les landes. Ce sont des landes mouillées, qui deviennent des lacs sous l'action des pluies. Rien n'est plus désolé mais rien n'est plus beau" (Jules Barbey d'Aurevilly).
Après Baupte on rejoint Coigny. A gauche « le vieux Château » avec ses deux tours monumentales et un peu plus loin le château de Franquetot  alliance de pierres et de briques qui appartenait à l’illustre famille  de Coigny. Deux d’entre eux furent maréchaux de France sous l’Ancien régime, beaucoup sont morts sur le champ de bataille aux côtés des Rois Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Mais celle qui a marqué de son emprunte la vie de cette époque fut sans doute Anne de Coigny femme du monde intelligente cultivée et aimant les hommes. Elle  traversa la royauté le directoire l’empire et la restauration sans encombres.  J’imagine…
Puis je file vers Vindefontaine.    Vous serez sans doute surpris de découvrir en ces lieux un important sanctuaire à Notre Dame de la Salette avec une esplanade sur laquelle des statues retracent les étapes de l'apparition de la Vierge Marie à deux enfants dans la montagne.
On continue de suivre de petites routes typiques du Cotentin bordées  de haies touffues qu’on dirait faites spécialement pour les randonneurs afin de les protéger des vents d’Ouest dominants.  Je traverse Varenguebec , petit village en pierres .et je commence à distinguer le Mont Doville caractérisé par la tour d’un ancien moulin à vent.   Malgré les virages et les talus , je m’obstine à le garder en point de mire tel le mont Ventoux quand on arrive de Carpentras. 
Quand j’arrive devant le panneau : « Mont Doville » ,  j’ai toujours ce petit frémissement,  cette sentiment difficile à décrire où se mêlent le plaisir et l’inquiétude . Je suis arrivé au pied de l’ objectif de la journée. Je sais qu’il ne faudra pas s’enflammer de peur d’être asphyxié dans la dernière rampe . Pas de folies le petit plateau s’impose dès le début. A l’ombre l’été , à l’abri du vent l’hiver je monte lentement entre deux rangées de beaux arbres. Puis en peu de temps les arbres laissent la place aux arbustes rabougris. La pente se fait plus raide. Enfin on termine avec un petit mur à 20% « en danseuse » au milieu des ajoncs et de la bruyère.
Il faut quelques instants pour reprendre son souffle  avec cette sensation très agréable de sentir son corps qui vit pleinement à pleins poumons et un cœur qui bat vite fort mais régulièrement pour s’apaiser peu à peu. Je lève alors la tête pour m’enivrer de ce nouveau paysage complètement différent de mes marais de Carentan.
Aujourd’hui c’est le printemps et le ciel est bleu et le soleil fait étinceler les ajoncs en fleurs mais en automne j’apprécie aussi le ciel gris qui s’harmonise avec les bruyères aux teintes mauves. Quoiqu’ il en soit on y respire ici une atmosphère emprunte  de mystère. Est-ce cette terre ingrate insolite  au milieu d’une belle Normandie aux prairies luxuriantes ou la présence de ruines au sommet  souvent battu par les quatre vents ?  Ou à cause  de ces  nombreuses légendes qui hante le mont Doville et son frère jumeau juste en face, le mont Etenclin ?
Le prêtre écrivain du Cotentin, Louis Costel, en avait fait un joli livre?: "Et ils croyaient brûler le diable", l’histoire à peine croyable des messes noires et rites sabbatiques qui donnèrent lieu autrefois ici au dernier grand procès en sorcellerie. Un ancien instituteur du village m’a confirmé que la sorcellerie, est toujours de mise. "Le bois d’Etenclin est toujours habité". Sous-entendu par les esprits malins…


J’aime alors m’y attarder, seul à côté de mon  vélo, me diriger vers le corps de garde en ruine, escalader le mur et le toit de pierre, pour prendre … mon piquenique sur le faite  de l’édifice.
En croquant dans mon sandwich au jambon (du pays)   je contemple le magnifique panorama à 360° qui s’offre à mes yeux les jours de beau temps comme souvent en Normandie (Mais ça c’est un autre secret). A l’Est les marais de Carentan avec les éoliennes de Méautis tout près de chez moi . Je n’ai encore jamais aperçu ma maison , mais qui sait un jour ? A l’Ouest,  la mer, les îles anglo normandes. On prétend même que d’ici on voit : « les jersiaises changer de chemises » Est-ce sans doute cette atmosphère si particulière emprunte de milles légendes qui est propice  à de telles hallucinations ?
Drôle de sensation quand je reprends mon vélo les jambes cotonneuses et les pensées tournées vers l’ailleurs.  Mais le réalité revient vite s’imposer car la descente est raide  et dangereuse . Pas question de faire des folies ! Je descends prudemment et Je prends ensuite une petite route à gauche pour remonter vers une carrière puis à droite pour longer le mystérieux marais de la Sangsurière puis ensuite celui de l’Adriannie.
C’est tout d’abord un paradis pour les ornithologues et les naturalistes.  le marais de la Sangsurière repose sur une épaisse couche d’argile et de tourbe qui rend  ce milieu naturel exceptionnellement riche. : 175 espèces végétales y ont été recensées dont la fameuse drosera petite plante carnivore dont les feuilles munies de soies visqueuses piègent les insectes.
On raconte aussi qu’en novembre 1943 , un Spitfire de la Royal Air Force a abattu un avion allemand  au- dessus du marais de la Sangsurière  . L’avion aurait été englouti dans cette terre noire et spongieuse devenue un linceul pour ces soldats allemands.
Je m’y attarde donc espérant voir un busard cendré, un busard des roseaux,  un héron, une cigogne ou des débris de carlingue refaisant surface…
Pendant que mon imagination vagabonde j’arrive sans m’en rendre compte à Varenguebec  je prends à gauche le petit chemin de terre bien ombragé qui même à l’auberge de l’Ouve . lieu de repos par excellence les rives de la Douve les petites maisons en pierres, la petite chapelle et l’auberge où l’on peut agréablement s’y restaurer avec de bons  produits locaux : jambon fumé, terrines,  camembert, cidre…
Ainsi donc après avoir repris des forces et des calories je repars très alerte pour effectuer les quelques 25 km qui me sépare de la base de départ. Je passe par Pont l’Abbé puis Chef du Pont et je ne peux m’empêcher de longer à nouveau les marais en passant par Lièsville sur Douve. Il ne faut surtout pas rater  une petite route qu’on prend à gauche à la sortie du village qui  passe près d’une chèvrerie (très sympa d’ailleurs) qui mériterait être classée comme route touristique. Après les hérons réapparus il y a quelques années parce que protégés, l’arrivée des cigognes qui ont découvert récemment la Normandie et ses grenouilles, on peut depuis quelques années observer des cygnes qui eux aussi ont l’air d’apprécier nos marais l’hiver.
Le final est aussi de toute beauté et empreint d’émotion. Je gravis une dernière pente pour me hisser à Saint Côme du Mont. J’aperçois au loin Carentan cité autrefois  telle le Mont saint Michel entourée d’eau. D’ici on imagine  la mer entourant l’église, le château et ses remparts. Depuis l’homme a façonné le paysage en érigeant contre la mer des digues pour y gagner des terres cultivables.  Cependant , parfois l’hiver, la nature se rebelle  et l’eau venue des rivières ne pouvant s’écouler normalement  se répand dans les basses terres et entoure en partie la ville lui redonnant ainsi un aspect presque insulaire.
Le 6 juin 1944, les soldats de la 101ème Airborn  se retrouvèrent  ainsi au sommet de Saint Côme dans une situation similaire : les allemands ayant fermé les écluses de la Barquette visible à  gauche , Carentan entouré d’eau fut ainsi difficile à reconquérir. Il fallut 5 jours aux américains pour effectuer les 2 km qui les séparaient         de la ville stratégique.
A bicyclette, on descend presque en roue libre. Si on observe bien à droite en entrant dans la ville on remarquera un monument à la mémoire de  ses soldats américains qui après d’âpres combats dans un jardin planté de choux décidèrent du destin de la France. La bataille de Carentan fut sans doute un des  moments décisifs de la 2ème guerre mondiale.
La promenade à bicyclette se termine donc comme   avait commencé dans la capitale  des marais du Cotentin appréciée par beaucoup de Cyclotouristes pour la douceur de ses pentes. Ici, pas besoin ici d’avoir un triple plateau, On peut faire des dizaines de kilomètres sans monter une seule côte. C’est sans doute pour cela que de temps en temps en souvenir de quelques grands cols franchis dans ma jeunesse, je file de bon matin vers le mont Doville  pour   rêver de montagne, de cols et de sommets. 
Une des nombreuses légendes du mont Doville
« Plusieurs nuits de suite, les villageois de Doville furent réveillés par des cantiques chantés bien après la tombée de la nuit. Apres quelque temps, les villageois, se rendirent en procession vers le mont. Là ils découvrirent le spectacle étonnant d'un prêtre qui disait sa messe au milieu de la nuit. Hésitants, mais respectueux du culte ils suivirent la messe jusqu'à son terme. A la fin de celle- ci ils  allèrent s'enquérir de la raison d'une telle cérémonie nocturne. A cette question le prêtre, les remercia de leur présence et leur expliqua que, empêché par la mort de dire sa dernière messe, il était condamné à dire celle-ci sans que son âme n'ait le repos éternel. Seul la présence des paroissiens pouvait le délivrer. Sur ces paroles le fantôme du curé disparu.
Je ne vous dirais pas qu'il m'est parfois arrivé de croiser la silhouette du prêtre dans la lande de Doville la nuit, ce serait mensonge, j'y ai  seulement aperçu des choses bien plus étranges... Pour les amateurs de sensations fortes, je conseille cependant une petite balade au clair de lune en ce lieu qui a une indéniable présence. »

 



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